Mercredi 11 septembre, le Préfet de l’Ariège accompagné de représentants de la DDT, de la Fédération Pastorale, de la MSA et des syndicats majoritaires sont allés à la rencontre des éleveurs et bergers de l’estive de Pouilh dans le Couserans.
Quand nous sommes arrivés sur l’estive, les visages des éleveurs et des bergers étaient fermés. Durant la nuit, ils avaient une fois de plus été victimes d’une attaque d’ours. Ils étaient en train de trier les brebis qu’il allait falloir redescendre. Certaines avaient la laine souillée par le dévalement de la pente ou par le sang, des pattes et des dents étaient cassées et d’autres étaient en train d’avorter. Est-ce le destin qui en avait décider ainsi ? Au moins les représentants de l’Etat découvraient la réalité de la situation.
Un groupement pastoral qui a traversé le temps
Près de 1900 brebis ont été montées sur cette estive en début de saison. Or, 105 d’entre elles sont déjà mortes à cause de la prédation, dont 17 cette nuit-là et une centaine sont portées disparues. A titre de comparaison, entre 2000 et 2008 seulement 5 brebis par an au maximum manquaient à la descente. Claude Durand, Président du groupement pastoral depuis 2003 et présent sur cette estive de 1300 hectares depuis 60 ans, nous a expliqué que dans les années 1995, il y avait 22 éleveurs avec 2800 brebis, contre 12 éleveurs ovins et 3 éleveurs bovins aujourd’hui. Il ne monte même plus sa quinzaine de brebis depuis 2 ans en raison de la prédation. En 2014, celle-ci était allée jusqu’à réduire son troupeau au deux tiers. Le groupement pastoral fondé en 1964 a su se développer : il possède maintenant 3 cabanes fixes et 2 cabanes d’appui, et a le projet de construire une autre cabane car le déplacement des cabanes d’appui est coûteux, même après avoir pris en compte l’aide financière octroyée.
Des moyens de protections insuffisants
Sur cette estive, deux bergers, un berger stagiaire et un berger de nuit gardent les brebis avec quatre chiens de protection. L’année dernière, la mise en place d’un gardien de nuit et le regroupement chaque soir du troupeau autour de la cabane avait permis de réduire de moitié le nombre de brebis prédatées pour le porter à 100. Tous les éleveurs et bergers avaient alors eu une lueur d’espoir quant à l’amélioration de la situation, mais cet espoir s’est éteint avec les nombreuses attaques de cette année, un berger a même annoncé qu’il ne remonterait pas sur l’estive. Pour le Président du groupement pastoral « Le berger de nuit n’est pas là pour garder les brebis la nuit mais pour garder les ours de l’Etat ! »
Le regroupement du troupeau et la solution proposée par les représentants de l’Etat d’utiliser des parcs déplaçables ont des répercussions. Cela contraint les brebis qui adaptent naturellement leurs déplacements selon les conditions météorologiques impactant ainsi l’alimentation des troupeaux et l’entretien des versants avec l’abandon de certains quartiers.
En ce qui concerne la bombe à poivre qui a été mise en place cette année par le Préfet et dont disposent 39 bergers sur les 51 personnes formées, sur cette estive elle n’a malheureusement pas pu être utilisée par le berger car il avait un vent de face. A savoir qu’au 16 septembre, une seule une personne l’a utilisée dans le département.
A ce jour, la seule solution dont disposent les éleveurs en Ariège est de descendre les troupeaux plus tôt pour limiter la prédation.
Des difficultés de communication
Malgré les objectifs de la feuille de route « Pastoralisme et Ours » de 2019 qui prévoyaient un renforcement de la couverture téléphonique notamment dans le Couserans, le réseau reste inexistant sur l’estive. Les balises d’urgence fournies par la DDT ne fonctionnent pas correctement, ce qu’a reconnu la Directrice de la DDT. Un projet d’antenne Starlink devrait être mis en place mais il est actuellement en cours de négociation par l’administration au vu des devis reçus : 15 000 € pour monter seulement le matériel nécessaire sur l’estive. L’an dernier, sans l’endurance d’un berger qui a dû se rendre jusqu’à la frontière pour contacter les secours, sa collègue n’aurait pas pu recevoir l’aide nécessaire. Les éleveurs et bergers insistent sur la fait que la situation doit rapidement s’améliorer, leur sécurité et leurs communications en dépendent !
Un manque de considération vis-à-vis des bergers et éleveurs
Les bergers reprochent aux membres titulaires de l’OFB de ne pas venir assez sur le terrain et de ne pas prendre en considération leur constat du terrain : les ours s’adaptent aux moyens de protection, ils chassent à plusieurs pour plus de facilité.
Les bergers doivent également faire face régulièrement aux attaques verbales de certains randonneurs qui ne souhaitent pas partager la montagne : les aboiements des chiens de protection la nuit et les brebis qui s’approchent de leur campement les dérangent. Ils leur reprochent « qu’ils sont des bons à rien et que les troupeaux servent à nourrir l’ours ».
Les difficultés d’être berger
Les bergers ont expliqué qu’il s’agissait d’un métier de passion mais que cette situation n’est plus concevable « je suis berger et pas chercheur de cadavre et pourtant je passe mes journées à faire ça », d’autant plus que leur salaire ne correspond pas au travail effectuer, ils travaillent près de vingt heures par jour la peur au ventre. Jean qui a été berger pendant 30 ans sur l’estive, nous a raconté avec émotions : « Quand tu te lèves, tu ne sais pas ce qu’il t’attend et je ne vous parle que de cadavre. »
Sur demande, la mise à disposition de berger par l’association La Pastorale Pyrénéenne est possible mais pourtant n’est pas une solution pérenne et assez adaptée : les bergers manquent généralement de compétences, ne sont présents que 3 jours, n’ont pas de connaissances du terrain et sont fatigués par les distances qu’ils parcourent et l’enchaînement des missions, ce qui rend la situation dangereuse. Un renfort plus long, un meilleur suivi des ours et des moyens supplémentaires sont demandés.
Viennent s’ajouter à cela les démarches administratives qu’il faut effectuer pour avoir un laissez-passer pour monter en voiture depuis Arrous et les amendes qu’ils reçoivent pour stationnement par l’ONF.
Réalisation des constats, trésorerie et soutien de l’Etat
La profession a expliqué aux représentants de l’Etat que le délai de 72h pour faire un constat suite à une prédation est trop contraignant, de nombreux dossiers sont refusés en commission car ils ont été fait en dehors des 72h. Certains bergers et éleveurs n’appellent même pas l’OFB quand ils découvrent des cadavres sachant que le délai est dépassé. De plus, des dossiers prennent du retard à cause de formalités administratives : dossier mal complété, case non cochée,… ce à quoi répondent les bergers qu’ils ne sont pas formés pour. Il est également reproché le sens des mots « ours non écarté » lors du résultat du constat.
D’un point de vue financier, la prime d’équipement réduite et les délais de paiement trop longs, concernant l’indemnisation d’animaux prédatés ou l’aide au gardiennage, mettent en péril les groupements pastoraux et les exploitations. Ces dernières si elles n’ont pas assez de trésorerie en réserve ne peuvent pas racheter des animaux, ce qui accentue leur perte financière.
Alexis Cabanié, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs de l’Ariège, a interpellé les représentants de l’Etat en leur expliquant « je suis incapable de motiver un jeune à s’installer en transhumant en Ariège pourtant je suis fier du travail de ces bergers mais des jeunes qui s’installent et un berger qui reste 30 ans, il y en aura plus ! »
Pour finir, la profession a insisté sur le fait qu’elle avait besoin de l’aide de l’Etat pour faire bouger la situation, qui pour elle doit passer par la régulation. Malheureusement le Préfet ne semble pas avoir réaliser le désespoir de ces éleveurs et bergers mais aussi de tant d’autres dans notre département. En effet, il a expliqué ce lundi lors d’une conférence de presse que « Durablement dans les Pyrénées, il y aura l’ours et le pastoralisme, et l’Etat est là pour aider à cette coexistence ».
I.ND et C.G