Économie, vaccination, relations commerciales :  tour d’horizon de la situation de la MHE depuis septembre 2023

Longtemps, la maladie hémorragique épizootique (MHE) était vue comme une affection exotique, éloignée des frontières européennes et à l’impact sanitaire limité. Moins d’un an après son arrivée sur le Vieux continent, elle a conquis cinq pays et surprend par des effets sur les bovins plus graves qu’attendu. À la mi-septembre, les premiers cas en France, grand exportateur de bovins vifs, ont soulevé l’épineuse question des échanges, interdits par la réglementation européenne pour cette maladie. Un mois après l’apparition de la MHE dans les Pyrénées françaises, le manque de recul sur cette maladie est encore criant. Et complique l’adaptation de la réglementation, celle du dispositif de lutte, ou encore l’accompagnement économique attendu par les éleveurs.

 

Progression fulgurante de la maladie

Trois foyers le 18 septembre, plus de 450 moins d’un mois plus tard : depuis son arrivée en France, la maladie hémorragique épizootique (MHE) a connu une progression éclair. Son expansion pourrait même dépasser les chiffres officiels, car beaucoup de cas en élevage ne sont pas déclarés. Face à cette nouvelle pathologie, venue du sud sous l’effet du réchauffement climatique, les éleveurs de bovins (l’espèce concernée au premier chef) ont plongé dans l’incertitude. Proche de la fièvre catarrhale ovine (FCO) par son mode de transmission et ses symptômes, la MHE présente en théorie un impact sanitaire relativement limité en termes de mortalité, même si les données sont encore évolutives. Mais son impact économique, via les restrictions aux mouvements des animaux, peut être important. Le point sur les questions soulevées à moyen terme par cette nouvelle épizootie.

 

Sanitaire : des impacts plus graves qu’attendu

Comme la FCO, le virus vient du sud. Après les premiers cas français dans les Pyrénées-Atlantiques et les Hautes-Pyrénées, la MHE s’est rapidement disséminée dans le sud-ouest de l’Hexagone. Avant de s’étendre à l’est, avec un premier foyer en Suisse, près de Berne, le 6 octobre. Cette extension était prévisible, selon Stéphan Zientara, directeur du laboratoire de santé animale de l’Anses : « La probabilité est assez grande que le nombre de foyers augmente et que la MHE se propage hors des départements pyrénéens ».

Selon M. Zientara, « nous avons un automne doux, et plus il fait chaud, plus il y a de risque que l’infection s’étende. » La chaleur de l’automne 2023 offre « un climat idéal pour la propagation du vecteur de la MHE », les moucherons du genre Culicoides. Il s’agit de la même famille d’insectes qui véhicule la FCO, présente en France depuis 2006. A part le froid, l’insecte n’a pas de réelle barrière.

« La MHE est une maladie transmissible, mais pas contagieuse. Un animal malade ne peut pas en infecter un autre directement, rappelle Stéphan Zientara. Seuls les moucherons Culicoides peuvent transmettre la maladie, en piquant un animal sain après avoir piqué auparavant un bovin malade. »

 

Autre mode de dissémination possible : les transports d’animaux vivants.

La MHE ne peut pas être transmise à l’homme. Au-delà de l’insecte vecteur, FCO et MHE se ressemblent beaucoup et partagent les mêmes symptômes : fièvre, anorexie, boiteries, ulcération des muqueuses, etc. Et en théorie, comme la FCO, « la MHE provoque très peu de mortalité sur les bovins, dans moins de 1 % des cas », note le cadre de l’Anses.

Toutefois, sur le terrain, GDS France appelle à la prudence : « Les conséquences dans les premiers élevages ont pu être lourdes », estime son vétérinaire conseil, avec une morbidité autour de 15 %, l’impact se révèle « assez variable d’un élevage à l’autre », en fonction des systèmes de production, de la configuration des élevages, etc.

 

Moyens de lutte : pas de vaccin à court terme

Face à une maladie comme la MHE, l’outil le plus efficace reste la vaccination lorsqu’elle est largement mise en œuvre dans et autour des zones infectées pour créer un cordon. Mais il n’existe pas actuellement de vaccin contre le sérotype 8 qui est présent en France, et il faudrait trois à cinq ans pour en obtenir un.  D’après l’Anses, la recherche publique et les laboratoires travaillent sur le sujet, mais rien ne garantit que la vaccination serait économiquement viable.

« Développer et valider un vaccin coûte cher, cet investissement en vaudra-t-il la chandelle ? » s’interroge M. Zientara.

Pour que ce soit le cas, il faudrait être sûr que la vaccination soit largement utilisée. Or, comme on assiste à l’émergence de la maladie, on se trouve dans une phase d’interrogation : on ne sait pas s’il va falloir mettre en place une vaccination généralisée.

 

L’avis de Laurent Saint-Affre, éleveur Aveyronnais et membre du bureau de la FNSEA

Du côté des éleveurs aussi, il semble trop tôt pour se lancer dans l’aventure vaccinale.

« Pour le moment, on n’est pas sur ce type de réflexion », balaye Laurent Saint-Affre, membre du bureau national de la FNSEA. Cet éleveur aveyronnais mise notamment sur «l’immunité collective » que le cheptel pourrait acquérir progressivement après plusieurs années de circulation de la maladie, à la manière de la FCO

 

Lutter contre la maladie : stratégies et mesures de la France

Comme l’explique le GDS France, « quand l’arme de choix du vaccin n’est pas disponible, les mesures de prévention et de restriction des mouvements – avec les dépistages associés – restent les plus pertinentes pour ralentir la diffusion d’une maladie vectorielle ». C’est la stratégie adoptée par la France, via un arrêté du 23 septembre, complété par un deuxième texte du 29 septembre.

  • Les ruminants ne peuvent plus sortir des zones réglementées pour la MHE (150 km autour des foyers), à moins de subir une désinsectisation et de présenter un test PCR négatif.
  • Des dérogations existent également pour le retour d’estive, l’abattage ou encore l’export.

 

Export : encore l’Algérie et la Grèce à rouvrir

Dès l’arrivée de la MHE en France, à la mi-septembre, les premières craintes sont apparues pour l’export d’animaux vivants. Les deux premières destinations des broutards français, l’Espagne (86 000 animaux en 2022) et l’Italie (870 000 têtes), ont rapidement rouvert leurs frontières. Sous l’égide de la Commission européenne, ces deux pays ont signé des accords avec la France qui permettent de déroger à l’interdiction d’exporter.

 

Cette perspective de réouverture a « rassuré les producteurs », estime Laurent Saint-Affre.

« Le cours de la viande et des broutards n’a aucune raison de baisser actuellement », prévient-il. « En ce début de saison des broutards, certains opportunistes sont en train de vouloir faire des coups commerciaux, d’acheter des animaux à bas prix en faisant peur aux éleveurs. Le travail est loin d’être fini sur le volet export, avec au moins deux débouchés à rouvrir. Il y a d’abord l’Algérie : première destination parmi les pays tiers, le pays a suspendu ses importations moins d’une semaine après les premiers cas français. Des volumes moindres que l’Espagne et l’Italie, mais qui peuvent être un vrai vecteur de maintien de prix. »Dernière destination d’envergure à rouvrir : la Grèce. Laurent Saint-Affre rappelle que « le pays achète régulièrement des agnelles ou des brebis laitières françaises. Cette année, après des incidents climatiques exceptionnels (canicule, incendies, et pluies torrentielles), la Grèce a besoin de reconstituer son cheptel. Je pense qu’il faut que les éleveurs gardent leur sérénité tout en prenant conscience de la situation et de ces enjeux commerciaux »

Impact économique : les syndicats agricoles s’accordent sur la nécessité de mettre en place un accompagnement

Un sujet fait l’unanimité au sein des syndicats agricoles : la nécessité d’un accompagnement économique des éleveurs. Les professionnels espèrent des pouvoirs publics un soutien sur au moins deux volets : les frais sanitaires et le maintien des animaux en ferme. Sur le premier volet, la Confédération paysanne demande, dans un communiqué du 17 octobre, des indemnisations « couvrant à la fois les mortalités, les soins aux animaux […] et les pertes de production ». Selon le syndicat, les frais sanitaires « peuvent monter jusqu’à 300 € par animal ». Une estimation cohérente avec celle de la Coordination rurale, qui constate des frais vétérinaires « de l’ordre de 250 € par animal, et pouvant atteindre 600 € ». La CR souhaite aussi « la mise en place des années blanches pour les éleveurs [affectés] par la MHE ». Second volet d’indemnisation attendu : une aide couvrant le coût du maintien des animaux en ferme. Dans les zones réglementées, les broutards prêts à être exportés ont dû être gardés plusieurs semaines. « L’entretien d’un broutard est estimé entre 3 et 4 € par jour », estime Laurent Saint-Affre. Et la réouverture des débouchés italiens et espagnols ne règle pas tous les problèmes. Pour pouvoir être expédiés, les animaux doivent justifier d’un test PCR négatif ; les animaux positifs resteront donc bloqués. « Au bout de combien de temps redeviendront-ils négatifs et pourront-ils être exportés ? », s’interroge le responsable de la FNSEA. Une question encore sans réponse vu le peu de recul dont on dispose sur la maladie. « Si on parle d’un mois, la dévalorisation commerciale reste minime. Si on parle de six mois, par contre, les animaux ne correspondront plus à la demande », craint M. Saint-Affre. Reste un dernier volet de soutien, soulevé notamment par les organisations sanitaires. « Il faut que l’État aide les éleveurs, mais aussi qu’il nous aide à accompagner les éleveurs », estime la GDS. Par exemple en prenant en charge les tests PCR : « Faire venir le vétérinaire coûte environ 45 euros, une PCR coûte environ 30 euros ». Des coûts prohibitifs en face du prix de certains animaux, quand « un veau brun (prim’holstein, NDLR) est vendu 30 euros ». Pour le vétérinaire conseil de GDS France, il ne s’agit pas que d’une question économique, mais aussi sanitaire : qu’il s’agisse de surveillance, de restrictions de mouvements ou d’indemnisations, « l’acceptabilité des mesures est primordiale pour l’efficacité du plan de lutte ».

Agrapresse